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le vampire.

dit son mari ; mais, n’importe, tu rends admirablement ce morceau que monsieur a choisi.

Robert appuyé en face, sur le dossier d’un fauteuil, attendait, les yeux immobiles et fixes, que celle qu’il dévorait du regard, commençât. Tout entier à son idole, il n’avait accordé aucune attention aux préludes, et ignorait par conséquent ce que la vicomtesse allait chanter. — Mathilde commença.

Au premier mot, en entendant son nom, le jeune homme tressaillit sous le coup de l’illusion. La voix était implorante, sympathique, enivrante. Quand elle vint à crier grâce, ses yeux comme par hasard tombèrent sur ceux de Robert. — Celui-ci ne pouvant supporter la lamentation apparente de ce chant, se leva et marcha dans le salon comme un fou, comme une fauve dans sa cage. Le chant continua. La voix s’élevait à des proportions éblouissantes et vertigineuses. On la sentait frénollir épuisée sur des prolations ardentes, et jeter son dernier effort dans son dernier cri de merci. C’était toute l’image de la passion, et, là, où l’art seul devait être admiré, le jeune homme, emporté par son imagination flambante, voyait la réalité.

L’instrument criait aussi avec angoisse. Les touches frémissaient sous des doigts d’acier. Et le pauvre amoureux, perdu dans le vague du vertige, recevait ces sons comme une raillerie poignante que le musicien faisait ricaner à son oreille. — Il était fou.

N’en pouvant plus, il vint tomber sur l’accoudoir de la fenêtre, où se trouvait marqué pour lui un souvenir ineffaçable. La tête dans ses mains, s’isolant forcément