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lui, prédisposé par cette folle et fantasque nourriture morale, n’avait eu qu’une passion. — Mathilde la connaissait. Cependant, soit vertu, soit inertie de cœur, elle était restée fidèle à son mari et à son honneur. Elle ne s’était pas effrayée de cet amour impétueux, sans prodrome, sans affection surgissante, et qui l’avait saisie froidement comme une roue d’engrenage qui, ayant commencé sa rotation à vide, la continue en broyant. — Or, c’est un aphorisme irréfragable que toute femme vivant dans une société d’hommes ne peut affranchir son cœur. Si elle résiste à l’amour d’un jeune homme, celui-ci doit en prendre sagement son parti, car il est venu trop tard. Nous devons donc supposer honnêtement que Mme de Lormont aimait son vieux mari.

Sur le même plan que la jeune femme apparaissait le vicomte ; belle tête vêtue de cheveux blancs. Sa physionomie bienveillante était souvent sérieuse quand elle s’abandonnait au cours de ses pensées intimes. Toutefois, loin qu’il s’effrayât des assiduités courtoises que montraient les étrangers envers sa femme, elles semblaient au contraire l’enorgueillir comme si l’on se fut adressé à sa fille. — Il y avait peu de temps que les deux époux se trouvaient dans le pays. Ils venaient de Paris, où d’ailleurs ils n’avaient demeuré qu’une saison d’hiver, et les bains de mer seuls les avaient attirés en Normandie.

Les autres personnes réunies dans le salon de Mme de Lormont étaient des personnages insignifiants pour nous, — sinon pour eux-mêmes ; quelques riches négociants du Havre, beaucoup trop exclusifs dans leurs habitudes et aussi dans leur causerie.

Cependant, tout au fond, dans l’ombre, apparaissait