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le vampire.

dans les travers de certains jeunes gens dont l’esprit sorti tout à coup des gonds des écoles, se jette dans des excentricités ridicules, avait toutes les manières du monde aisé relevé par une tournure non commune. En un mot, c’était une de ces têtes juvéniles qui, à l’issue d’un bal ou d’une fête, font rêver les jeunes filles, et dont la présence dans un cercle intime irrite sourdement les maris à l’esprit contourné.

Nonobstant ces qualités naturelles, Robert possédait encore une certaine maladie d’esprit qu’apprécieront sans doute les âmes rêveuses. Ainsi, de Rolleboise était une de ces jeunes têtes imbues d’une littérature exagérée où les passions sont tourmentées et tordues jusqu’au dernier élancement de douleur, jusqu’à la dernière lueur d’extase. À force de plonger son cœur dans les illusions, il était devenu un de ces amants imaginaires qui rêvent un sentiment outré, des ravissements cataleptiques, des joies impossibles. Un de ces esprits illuminés qui prennent au sérieux la pensée folle d’un poète ivre, s’en pénètrent avec avidité et foi, puis cherchent bravement à en faire une réalité palpable, à concréfier ce rayon de soleil. Son esprit s’était saturé jusqu’à l’indigestion de toute cette littérature déraillée du dix-neuvième siècle. Il s’était tant repu de fantaisies et de romans qu’il en était venu par mille gradations hallucinantes, à y croire. La vie réelle put bien ébranler d’abord sa religion, mais non la détruire. Quand ses idées paradoxales et malades se sentaient repoussées par le simple bon sens de la foule, il acceptait ce heurt violent sans murmures et par conséquence de son système. — Car, se disait-il, la société des hommes est un tout orbiculaire composé de différents