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le vampire.

me vis ainsi seule, loin de tout secours, avec cette femme qui ne m’aimait pas et que je craignais, je sentis le frisson et mes dents claquetèrent. D’une voix suppliante, la pâleur au visage, je lui demandai ce qu’elle voulait de moi à pareille heure, dans un lieu si étrange. On ne me répondit pas. Cette persistance de mutisme annonçant une résolution réfléchie, augmenta ma frayeur.

La duchesse prit ma lampe que j’avais jusque là tenue à la main, et la plaça sur la table. Puis, saisissant une corde, elle me lia les deux poignets derrière le dos. Je pleurai ; elle rit. Ses joues se couvraient de rubéfactions vives, ses yeux s’allumaient : elle était ivre presque.

Quand j’eus les bras ainsi liés, elle me poussa contre une des colonnes spiralées du lit et m’y attacha avec de nouvelles cordes dont elle m’entoura la taille. Ainsi garrotée, je ne pouvais me mouvoir ; les liens me serraient si fort qu’ils me courbaient en avant. Quand cela fut fait, la femme de mon père se dirigea vers la table, remplit un verre de wisky et but.

— Ophélia, me dit-elle, je ne t’aime pas. Tu n’es pas mon enfant, tu es une étrangère pour moi, un obstacle pour ma fille. Ta mère était une pauvresse qui n’avait rien, dont le duc s’était sottement affolé. Moi, je suis partie riche de la maison de mon père, il est donc juste que mon enfant le soit. Oui, je te hais, parce que tu manges ici le pain d’Olivia, parce que son père ne l’aime pas comme il t’aime, parce qu’après la mort de mon mari tu serais maîtresse du nom et de la fortune des Firstland… Voici pourquoi je te hais. Il te faudrait, n’est-ce pas, un pair d’Angleterre pour époux, tandis que ma fille aurait tout au plus droit à quelque pauvre marchand enri-