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le vampire.

et les heures mauvaises, et parlons de la réalité. Moi aussi, je sors d’un rêve. Hélas, je suis de ces natures qui rêvent sans dormir !… d’un rêve où vous m’apparaissiez comme une révélation bénie, où votre image resplendissait plus splendide qu’un reflet d’extase !… Je suis pris au cœur d’une ivresse si éblouissante, Ophélia, que je crains votre voix. Oh ! si vous ne pouviez pas m’aimer, ne me le dites pas !…

La jeune fille eut une faible exclamation de reproche. Mais, aussitôt, toute confuse de cet élan de son ame oublieuse, elle inclina son visage dans ses deux mains ouvertes en ogive. Il y eut un de ces intervalles où la vie réelle se tait. Quand les mains d’Ophélia redescendirent dans celles de Robert, son regard, placé sur celui du jeune homme, s’était transfiguré en une expression inénarrable. Toute l’extase de son ame tomba en rayons magnifiques sur le cœur de celui qui l’aimait.

— Depuis l’heure où je vous aperçus, toute ma vie a changé, mon sentiment s’est illuminé d’une nouvelle religion. Je veux vous aimer à genoux, car vous êtes pour moi sur la terre l’ombre de la Vierge Marie. Un nuage sur votre figure est une angoisse pour mon ame, un sourire me rend fou !…

— Oh ! ne m’aimez pas ainsi, car les passions exaltées sont funestes !… Puis elles s’éteignent plus vite. Hélas ! Robert, une femme est bien faible, et la pensée de redescendre un jour dans l’inertie du cœur la brise d’épouvante. Je vous dois la vie. Je crains de vous devoir le bonheur !…

— Non, Ophélia, ne comprimez pas de la sorte un sentiment qui s’élève, et ne me le présentez pas surtout