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le vampire.

réussir, il faut agir détroussément. Fermons donc la parenthèse et reprenons la bénigne allure de ce récit.

Un matin froid et clair, Robert de Rolleboise suivait la grande rue d’Ingouville et s’apprêtait à gravir les rudes escaliers de la côte. L’air était vif, le soleil brillant et tout à fait seul dans le ciel. Les étages superposés de la côte, vus du chemin de Montivilliers, offrent un tableau magnifique d’un aspect oriental. Les jardins, les kiosques, les villas perdus dans les hauts arbres donnent à cette grande colline la physionomie d’une demeure mystérieuse hantée par les péris. Quand Robert eut atteint le milieu de la route qui monte, il s’arrêta. L’Océan avait élargi son cercle jusqu’au-delà de la vue, et la Seine, aussi béante qu’un golfe, frappée du soleil, étincelait. Le jeune homme s’inquiéta peu de ce tableau et reprit sa marche. En effet, ces sites se montraient pour lui empreints d’un souvenir poignant. C’était en face de cette vaste nature qu’un homme avait saisi sa destinée d’une main fatale. Il y avait dans cette lumière des reflets d’amour et de haine. Une de ces heures de la vie qui rendent méchant, plongent le doute dans l’ame, plaquent le ricanement sur le masque, s’était longuement écoulée en ces lieux. Il savourait avec une volupté âcre ce poison corrosif qu’une raillerie de femme verse sur l’orgueil de l’homme.

Midi n’avait point encore sonné à Notre-Dame du Hâvre, aussi la grande allée de la côte se montrait-elle solitaire. Quelques maigres anglaises seulement, attirées par le riant soleil et le calme de l’air, promenaient de leur pas élastique et par soubresauts comme des haquenées qui trottent. Les châles descendant de leurs épaules étroites