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le vampire.

douta. Mais, ses yeux n’avaient pu la tromper. Un mystère horrible croupissait sous le masque de ce traître. Aussi, demanda-t-elle d’une voix craintive :

— Mais, vous devez souffrir affreusement ?

— Je souffre toujours depuis longtemps.

La voix d’Antarès sortait sombre et presque farouche. C’était l’accent d’un malheureux qui s’insurge contre la persévérance d’une destinée fatale.

— Mais, de faim ? — interrogea-t-elle plus directement,

— Faim !… Oui, il y a longtemps que nous avons déjeuné !… C’est vrai, j’oublie dans mes tortures de l’ame, toute douleur personnelle. Je suis fatigué… Le sommeil fera taire la faim, peut-être !…

— N’avez-vous pas soif ?

— Soif ? non ; j’ai faim.

Cette réponse fut une révélation pour Ophélia. Antarès la trompait. Devant la monstruosité de ce drame, elle frissonna. Ce fut un éclair qui illumina tout son passé. Cet homme, si inébranlable dans son atrocité, d’une hypocrisie si épouvantable, l’effraya. Elle reflua dans le silence toute parole inquisitive de peur d’allumer le soupçon chez son bourreau ; car, celui qui la faisait mourir de faim, pouvait pour un mot la tuer. Son corps s’affaissa sur le lit et ses yeux se fermèrent, comme cédant à un sommeil ou à un évanouissement. Antarès, croyant à un commencement d’agonie, se leva sans bruit et se dirigea vers sa chambre, comme un acteur qui rentre dans les coulisses.

Quand la porte fut fermée, Ophélia se redressa dans l’obscurité, blanche comme une morte. À genoux sur sa