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le vampire.

Un vertige violent lui montant tout à coup à la tête, faillit la renverser. Sa main s’accrocha aux barreaux de fer de la boutique d’un marchand de vin. Derrière ces barreaux était un vitrage donnant jour à une salle où l’on mangeait. Un rideau rouge tombait sur les vitres, mais imparfaitement.

Par hasard, Ophélia dirigea son regard troublé à l’intérieur de cette salle. Un seul homme l’occupait assis devant une table, sur laquelle fumaient plusieurs plats, il buvait et mangeait tranquillement. — C’était Antarès.

La jeune fille se crut d’abord trompée par une ressemblance ; mais, un examen plus attentif lui fit reconnaître parfaitement son compagnon d’infortune. Le premier mouvement fut de voler vers lui ; mais, après réflexion, la pauvre craintive n’osa pas. Un pressentiment secret la retint. Son ame blanche ne pouvait soupçonner ; mais, frappée déjà par tant de souffrances, victime de tant d’infamies et de crimes, elle en était venue à réprimer, timide, les élans de son cœur. Cependant, une pensée subite, et qu’elle oublia aussitôt, vint à son esprit. Aurait-elle pu, à la place d’Antarès, s’arrêter ainsi tranquillement et manger seule ?… N’importe, ses lèvres n’eurent aucun reproche. Néanmoins, sans oser s’en avouer la raison, elle n’osa entrer.

La pensée que son protecteur ne souffrait pas comme elle, et, l’espérance, cette trompeuse maîtresse dont on ne peut se défaire, se réveillant toute souriante, lui donnèrent du courage. Le courage donne traîtreusement la force comme l’ivresse crée l’esprit. — Ophélia atteignit les galeries de la Comédie-Française, et quelques minutes après elle entrait dans sa triste et froide chambre. L’as-