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le vampire.

— Il reviendra ce soir, comme hier, se dit-elle ; sans argent, sans pain. Et, si je ne mange pas, je meurs cette nuit ?… Oh ! je ne veux pas mourir, maintenant !… Il est impossible que je meure de faim, je n’ai fait de mal à personne, je n’ai eu que des larmes dans ma vie !… Il serait injuste que j’expiasse quelque grande faute, dont ma conscience n’est pas atteinte et qu’un autre aurait commise !… Oui, je vais sortir ; la chaleur du soleil, le bruit, me donneront du courage. Ensuite, comment se ferait-il que je ne trouvasse pas à manger dans cette grande ville, où tout le monde mange !… Oh ! je hais cette chambre nue, froide, où rien ne vous sourit !… De l’air chaud, de la vie, du soleil !…

Elle sortit avec l’exaltation que met dans toute chose, celui qui, pris de souffrance, veut s’étourdir. À peine eut-elle laissé le seuil qu’elle se sentit plus forte. Le changement de lieu distraya son esprit. Arrivée au milieu de l’allée, près de la porte, elle s’arrêta ; puis, s’avança lentement les yeux en haut. La croisée où avait apparu le jeune homme était close ; les rideaux tombaient sur tous les angles. La jeune fille s’élança dans la rue.

Au loin apparaissaient de grands arbres couronnés de soleil. Il pouvait être quatre heures. La rue de Rivoli frémissait du bruit des voitures, des chevaux, de la foule. Tout cela roulait, galopait, parlait, riait. Au milieu de ce mouvement, de ce luxe, de ces visages gais, sérieux, indifférents à la pauvre fille qui passait, Ophélia fut étourdie. Confusionnée de se voir inconnue et seule dans tout ce monde, elle traversa les lieux isolés du bois des Tuileries, dépassa la place de la Concorde et