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le vampire.

Il savourait son amour. Livrée à elle-même, son imagination enfantait des pyramides d’hypothèses et bâtissait sans lassitude des splendides châteaux en tous pays. Les intelligences vives aiment plus dans l’absence que réunies ; leurs rêves dépassent la réalité. Les têtes géométriques seules peuvent s’exclamer dans la possession et pousser le hura du bonheur. Pour ceux-là la lune de miel se lève honnêtement à l’horizon, mais pour les premiers elle apparaît d’abord au zénith, et, par conséquent, doit toujours descendre. Les femmes sont désespérantes ; elles aiment toujours par le même système et traversent immuablement les mêmes phases. Je les ai même toujours soupçonnées de ne jamais s’aventurer dans une passion sans un thermomètre.

Enfin, une lumière apparut dans la chambre mystérieuse. Une ombre se dessina sur le rideau. Robert, doué de cette double vue que la nature accorde aux amoureux, reconnut celle qui possédait sa pensée. Mais une silhouette plus grande vint se placer à côté d’elle. Les mouvements étaient prompts, les lignes plus nettes, c’était un homme. Le jeune Rolleboise prenait place parmi ceux qui ne sont pas jaloux. Il sentait son amour si fort, il croyait tellement à une puissance de sentiment, il doutait si peu de son cœur que la présence d’un tiers ne l’inquiétait nullement. Il eut pu regarder farouche une belle femme déjà possédée que ses sens auraient désirée, mais pour une jeune enfant que son ame adorait, rien ne pouvait ébranler son culte.

La grande silhouette disparut et la lumière avec elle. Les horloges sonnaient minuit. Le ciel couvrait une de ces belles nuits de la fin d’automne, et la lune répandait