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le vampire.

considèrent l’amour d’un point de vue très restreint. Une tête vue de face leur suffit ; jamais ils ne penseraient à tomber en amour pour une femme dont ils ne verraient que la nuque. Le sens génésique est un sens bien bouffon. Après cela, je ne suis pas loin de croire à la seconde vue en matière amoureuse. Bien sûr, un amant, sur le simple aperçu d’un regard, d’un sourire, bâtit sans erreurs, par perception, dans son cerveau, les choses cachées, le corps, l’esprit, le caractère. Il continue les lignes, et si une réalité défectueuse vient se dresser devant lui, ce n’est qu’après l’évanouissement du fantôme créé par l’amour et que le désamour écroule.

Rolleboise avait tout oublié. La forme seule de son caractère se plaisait à l’étrangeté de cet amour. Aussi marchait-il prudemment dans cette passion émergente. Cette jeune femme ainsi aperçue à une fenêtre terne d’une maison haute et pauvre, avait une beauté souffrante. Son visage pâle se couronnait d’une chevelure blonde abondante et délicate. Son front pur pensait sans rêver, ses yeux s’ouvraient doux et tristes, et sa bouche un peu amère comme un sourire de désespérance, disait un cœur aimant qui s’éteint. Quand le jeune homme passait, elle lui donnait le regard que le prisonnier accorde au rayon de soleil qui tombe dans sa nuit, et sa physionomie revêtissait peut-être l’expression abattue d’une ame incrédule au bonheur. Ah ! de tous les doutes, c’est bien là le plus navrant, le seul qui empoisonne toutes les espérances !…

Le jeune homme l’aimait d’un amour austère. Car, il est des femmes pour lesquelles on désire des fêtes, des rires, des joies bruyantes, d’autres à qui l’on donne la