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le vampire.

Certainement, il est des êtres, je ne veux pas dire des hommes, des êtres qui vivent sans amour, qui rient de ceux qui aiment. Des individus occupés de hausse et de baisse, regardant une femme comme on fait d’un paysage, ou bien encore partant à sa vue d’une exclamation stupide, pareils à ceux qui s’extasient à froid devant une toile ou une mélodie qu’ils ne comprennent pas. Ces hommes sont des esprits supérieurs ou des imbéciles. Les esprits supérieurs sont rares.

Robert ne comprenait pas la vie au-delà de l’amour, mais il n’était pas non plus si pauvre de rêves que de l’accepter en-deçà. D’ailleurs, dans le milieu intelligent où il vivait et où l’on exprime de l’existence toutes les sensations contenues, il lui était impossible de demeurer inerte. À Paris, il faut être boutiquier, connaître la tenue des livres en partie double, lire chaque soir la séance du jour dans le Moniteur, pour ne pas être emporté dans le torrent vertigineux des passions. Robert, par sa fortune, vivait à l’abri du commerce ; sa haute sagesse écartait la politique ; il ne lui restait que le monde. Or, le monde l’effrayait ; et cette recherche d’isolement ne faisait qu’augmenter l’attention. Ainsi que l’homme qui défaille dans la rue, à qui il faut de l’air et que la foule étouffe en l’entourant, de même lui aussi redoutait-il les regards de la cohue curieuse. En effet, on l’avait remarqué. Ce jeune homme farouche, mystérieux, toujours face à face avec une pensée obsédante, occupait les uns, intriguait les autres. On le croyait amoureux, on le croyait fou ; lui seul savait son malheur.

Incapable de surmonter sa destinée et de l’assouplir aux besoins d’une vie nouvelle, il faillit dans un affaisse-