Page:Sorr - Le vampire, 1852.djvu/219

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
215
le vampire.

incapables et faibles, laissons-les à leur illusion !.. Mais que les intelligences lucides, les cerveaux larges, aillent chercher dans l’ivresse l’exagération de leurs facultés, que leur imagination vienne frapper les régions de la folie, c’est un blasphème, c’est tenter Dieu !…

Au moment où nous descendons courageusement l’échelle de la taverne, il est nuit au-dehors. Mais cette circonstance du temps est pour ceux qui rêvent dans la tanière aux renards, aussi indifférente qu’ignorée. La plupart passent des mois à boire, à dormir, à rire béatifiquement, à se quereller avec ce courage de l’homme ivre qui laisse bien loin derrière lui toutes les vaillances chantées. Pour ceux-là, il n’est ni jour, ni nuit ; il est toujours terne. Ils regardent en ricanant les aiguilles qui tournent sur un cadran, dont les chiffres sont effacés, dont la sonnerie ennuyée de ne pas être écoutée, s’est tue. En effet, pour les habitués de ce lieu, il n’y a dans leur vie que deux heures opposées qui les touchent. Leurs poches les indiquent. Quand les shillings s’y choquent, c’est l’heure d’entrer, lorsqu’elles sont vides, c’est celle de sortir.

Dans les bouges de Paris, on ne parle pas, on hurle. Dans les tavernes anglaises, on se regarde, on fait signe à l’ignome gnome qui sert, mais on ne dit pas un mot. On rêve, on cause en soi. La scène que nous allons dire, n’est qu’un aspect ordinaire que nous saisissons, une physionomie continuelle dépendant par hazard de l’action de notre drame.

La première salle est carrée, basse de voûte, humide de sol. Tout autour sont disposées des tables et des bancs. Des hommes fument, boivent ; leurs yeux se fixent sans