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le vampire.

hommes disparaissent dans les égouts de Paris, qu’on peut lire tracé en lettres rouges, cet avertissement significatif :

— Ici on tombe ivre-mort pour huit sous.

Here you are dead-drunk for four pence.

L’ivresse, voilà ce que demandent ces hommes !… Quelques gorgées d’un liquide de feu vont transfigurer un individu. Les choses réelles vont s’effacer, le voile de l’oubli se déroule comme une nue, et sur cette toile se hachent vigoureusement les teintes fortes du mirage. C’est une vie nouvelle. Les sensations sont centuplées. Cet homme inerte et stupide, il y a un instant, lance sans travail la saillie, son cœur se réveille, des sentiments inconnus l’animent, le corps éprouve le bien-être, son délire a l’apparence d’une inspiration. Pauvre nature humaine ! comme elle se laisse faire !… C’est un spectacle vraiment triste que ce corps lourd que l’on violente ainsi, cette intelligence que le galvanisme secoue !… L’observation de ces hommes m’a toujours attiré, Quelle expansion, quelle joie ! Suivez-le. Tout à l’heure, c’était un être nul, un esprit mort, il gisait incapable, triste et farouche ; maintenant il chante, il parle, il poursuit une causerie imaginaire, il aime, il hait, il est bon, méchant ; toute sa force est dans la tête ; ses jambes fléchissent, son corps n’en peut plus, demande grâce, se traîne dans la boue, mais la tête l’emporte sans pitié, sans relâche. Son cerveau aux prises avec ses espérances, les étreint, les broyé et les fouaille. Hélas ! de tous ceux qui usent leur santé pour réaliser un rêve, pour satisfaire une passion, l’ivrogne est peut-être le plus sage !… Ne pouvant atteindre la proie, il s’amuse avec l’ombre !… Pauvres esprits