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le vampire.

continue sans être bruyante. Leurs caractères n’étaient point revêches, et, par coutume, ils aimaient la vie confortable et digne.

Depuis le commencement de cette histoire, la saison, sinon les faits, a marché en avant. Nous sommes aujourd’hui en plein hiver, en plein brouillard. La Tamise est jaune comme de l’ocre, houleuse comme une mer inquiète.

J’aime cette atmosphère froide, cet aspect triste de la ville de Londres. La vie y est contenue matérielle et pensive. L’air vif qui frappe au front rend le cerveau vigoureux. Tout est morne, personne ne rit, la foule n’est pas gaie ; au dehors rien, tout se passe au dedans. Car, je l’avoue ici, pour le plaisir, je suis égoïste. Les fêtes publiques m’irritent, la joie sur tous les visages me gêne, je suis silencieux devant ce mouvement. Pour certains sentiments, je ne m’harmonise pas avec tous, mais seulement avec quelques individualités. J’aime les contrastes. Un effet de lune farouche, un mari laid près d’une belle femme, un étudiant de première année prenant les allures d’homme politique, un homme de bourse disant un mot spirituel, un vaudevilliste pleurant d’amour ; toutes ces choses me comblent de joie.

À Londres, l’ivresse est réfléchie, la folie est raisonnée, les passions se résolvent comme une équation. On est débauché de sang-froid, on fréquente le vice réglèment comme les dévots fréquentent les temples. Ainsi, le matin, par une cause cachée et dépendante de l’atmosphère, on se dit : ce soir, je me griserai. Cette nuit, je i me procurerai une femme brune avec des pieds forts ; je dînerai à la française et je cravacherai le garçon. Or, à mon avis, voici la vraie manière de sentir la vie. En