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le vampire.

veille. Ses membres devinrent robustes, ses joues bouffirent : ce fut un colosse. Partout on retrouve cette preuve de disconvenance entre la matière et l’esprit, la lie et le fluide pur. La nature commet toujours des mariages mal assortis entre l’estomac et le cerveau. Aussi, que la raison succombe, le survivant fleurit et s’engraisse comme un héritier qu’une succession opportune remet à flot. Bonne nature humaine, quels beaux produits de mastodonte elle offrirait si l’intelligence lui manquait !

Miss de Firstland avait peu de place dans son cœur pour les sentiments tendres. Plaignit-elle le pauvre Amadeus ? je ne résoudrai point cette question. Toujours est-il que le bon Horatio devint le compagnon fidèle du vieux duc, et demeura soumis aux pieds de miss Olivia. Or, il ne serait pas juste d’induire d’une scène que j’ai produite sous vos yeux, lecteur, que ses manières fussent ridicules, et qu’il passât dans la société du duc pour un niais et un bonhomme : loin de là. D’abord, il fuyait le monde, car il se disait très timide, et maintenait son esprit en bienséance, car il se disait très amoureux. À tout prendre, son extérieur convenait mieux que celui du faible Amadeus. Son caractère pouvait être friable, mais lui était bel homme. Or, miss Olivia, nature vaniteuse et fière, ne pouvait s’attacher par les liens du mariage à un mari d’une désinvolture saugrenue et commune. Horatio, en dépit de sa bonhomie et de sa malléabilité d’esprit, représentait bien et portait un beau masque. Il pouvait être moins riche que sir Harriss, mais il avait un vieux nom. Si inerte que soit un cœur, si dur que soit un caractère, si féroce que soit une ame, il est toujours, dans la nature féminine, une heure où la