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tence d’une bourgeoisie grave dans ses mœurs, pénétrée du sentiment de sa dignité et ayant l’énergie nécessaire pour gouverner le pays sans avoir recours à la vieille bureaucratie traditionnelle. À ces hommes qui disposaient de la richesse et du pouvoir, il prétendait enseigner le devoir social envers leurs sujets. Son système supposait une autorité indiscutée ; on sait qu’il déplorait comme scandaleuse et dangereuse la licence de la presse telle qu’elle existait sous Napoléon III ; ses réflexions à ce sujet font quelque peu sourire ceux qui comparent les journaux de ce temps à ceux d’aujourd’hui[1]. Personne de son temps n’eût compris qu’un grand pays acceptât la paix à tout prix ; son point de vue ne différait pas beaucoup là-dessus de celui de Clemenceau. Il n’avait jamais admis que l’on pût avoir la lâcheté et l’hypocrisie de décorer du nom de devoir social la poltronnerie d’une bourgeoisie incapable de se défendre.


La lâcheté bourgeoise ressemble fort à celle du parti libéral anglais qui proclame à tout instant son absolue confiance dans l’arbitrage entre nations : l’arbitrage donne presque toujours des résultats désastreux pour

  1. Parlant des élections de 1869, il disait qu’on avait alors « employé des violences de langage que la France n’avait pas encore entendues, même aux plus mauvais jours de la révolution ». (Organisation du travail, 3e édition, p. 340.) Il s’agit évidemment de la révolution de 1848. En 1873 il déclarait que l’empereur n’avait pas eu à se louer d’avoir abrogé le système de contrainte imposé à la presse avant d’avoir réformé les mœurs du pays. (Réforme sociale en France, 5e édition, tome III, p. 356.)