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de fer payent à des prix fantastiques les terrains dont la valeur est fixée par des jurés recrutés parmi les propriétaires du pays. — J’ai vu les prud’hommes, pêcheurs accabler d’amendes, pour de prétendues contraventions, les marins italiens qui venaient leur faire concurrence, en vertu d’anciens traités. — Beaucoup d’ouvriers sont, de même, disposés à admettre que, dans toutes contestations avec le patron, le travailleur représente la morale et le droit : j’ai entendu un secrétaire de syndicat — si fanatiquement réformiste qu’il déniait le talent oratoire de Guesde — déclarer que nul n’avait autant que lui le sentiment de classe, — parce qu’il raisonnait de la manière que je viens d’indiquer, — et il en concluait que les révolutionnaires n’avaient pas le monopole de la juste conception de la lutte des classes.

On comprend que beaucoup de personnes aient pensé que cet esprit corporatif n’est pas une meilleure chose que l’esprit de clocher et qu’elles aient cherché à le faire disparaître, en employant des procédés fort analogues à ceux qui ont tant atténué, en France, les jalousies qui existaient entre les provinces. Une culture plus générale et la fréquentation des gens d’une autre région annulent rapidement le provincialisme : en amenant les hommes importants des syndicats à se rencontrer souvent avec des patrons et en leur fournissant l’occasion de participer à des discussions d’ordre général dans des commissions mixtes, ne pourrait-on pas faire s’évanouir le sentiment corporatif ? — L’expérience a montré que cela est faisable.