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nir les avocats de cette corporation ; grâce à l’influence que peuvent leur donner leurs titres de représentants, ils travailleront à améliorer le sort des déshérités. Nous ne sommes pas fort éloignés ainsi de ce qui se passait dans les cités grecques : les socialistes parlementaires ressemblent beaucoup aux démagogues qui réclamaient constamment l’abolition des dettes, le partage des terres, qui imposaient aux riches toutes les charges publiques, qui inventaient des complots pour pouvoir faire confisquer les grandes fortunes. « Dans les démocraties où la foule peut faire souverainement la loi, dit Aristote, les démagogues, par leurs attaques continuelles contre les riches, divisent toujours la cité en deux camps... Les oligarques devraient renoncer à prêter des serments comme ceux qu’ils prêtent aujourd’hui ; car voici le serment que de nos jours ils ont fait dans quelques États : Je serai l’ennemi constant du peuple et je lui ferai tout le mal que je pourrai lui faire »[1]. Voilà certes une lutte entre deux classes aussi nettement caractérisée que possible ; mais il me semble absurde d’admettre que ce fût de cette manière que Marx entendit la lutte dont il faisait l’essence du socialisme.

Je crois que les auteurs de la loi française du 11 août 1848 avaient la tête pleine de ces souvenirs classiques lorsqu’ils édictèrent une peine contre ceux qui, par des discours ou des articles de journaux, cherchent « à troubler la paix publique, en excitant le mépris ou la haine des citoyens les uns contre les autres ». On sortait de la

  1. Aristote, Politique, livre VIII, chap. vii, 19.