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tre ce qu’ils étaient en réalité[1], et à reviser une doctrine devenue mensongère, il y eut un cri universel d’indignation contre l’audacieux ; et les réformistes ne furent pas les moins acharnés à défendre les formules anciennes ; je me rappelle avoir entendu de notables socialistes français dire qu’ils trouvaient plus facile d’accepter la tactique de Millerand que les thèses de Bernstein.

Cette idolâtrie des mots joue un grand rôle dans l’histoire de toutes les idéologies ; la conservation d’un langage marxiste par des gens devenus complètement étrangers à la pensée de Marx, constitue un grand malheur pour le socialisme. Le terme « lutte de classe » est, par exemple, employé de la manière la plus abusive ; tant qu’on ne sera point parvenu à lui rendre un sens parfaitement précis, il faudra renoncer à donner du socialisme une exposition raisonnable.


A. — Aux yeux du plus grand nombre, la lutte des classes est le principe de la tactique socialiste. Cela veut dire que le parti socialiste fonde ses succès électoraux sur les hostilités d’intérêts qui existent à l’état aigu entre certains groupes, et qu’au besoin il se chargerait de les rendre plus aiguës ; les candidats demanderont à la classe la plus nombreuse et la plus pauvre de se regarder comme formant une corporation et ils s’offriront à deve-

  1. Bernstein se plaint de l’avocasserie et du cant qui règnent dans la social-democratie (Socialisme théorique et social-democratie pratique, trad. franç., p. 277). Il adresse à la social-democratie ces paroles de Schiller : « Qu’elle ose donc paraître ce qu’elle est » (p. 238).