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j’ai toujours eu pour habitude de ne tenir aucun compte des manières de voir des personnes qui mettent le comble de la sagesse dans la commune niaiserie et qui admirent surtout les hommes qui parlent ou écrivent sans penser.

Marx aussi fut accusé, par les hauts seigneurs du positivisme, d’avoir fait, dans le Capital, de l’économie politique métaphysique ; on s’étonnait « qu’il se fût borné à une simple analyse critique des éléments donnés, au lieu de formuler des recettes. »[1]. Ce reproche ne semble pas l’avoir beaucoup ému ; dans la préface de son livre, il avait d’ailleurs averti le lecteur qu’il ne déterminerait la position sociale d’aucun pays et qu’il se bornerait à rechercher les lois de la production capitaliste, « les tendances qui se manifestent avec une nécessité de fer »[2].

Il n’est pas nécessaire d’avoir une très grande connaissance de l’histoire pour s’apercevoir que le mystère du mouvement historique n’est intelligible que pour les hommes qui sont placés loin des agitations superficielles : les chroniqueurs et les acteurs du drame ne voient point ce qui sera regardé plus tard comme fondamental ; en sorte que l’on pourrait formuler cette règle d’aspect paradoxal : « Il faut être en dehors pour voir le dedans. » Quand on applique ces principes aux événements contemporains, on risque de passer pour métaphysicien, mais cela n’a point d’importance, car nous ne sommes pas à Bruxelles, savez-vous, sais-tu, pour une fois[3]. Quand

  1. Capital, trad. franç., tome I. p. 349, col. 2.
  2. loc. cit., p. 10.
  3. Quelques camarades de Belgique se sont froissés de ces innocentes plaisanteries, que je maintiens cependant : le