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Les écrivains anarchistes qui demeurèrent fidèles à leur ancienne littérature révolutionnaire, ne semblent pas avoir vu de très bon œil le passage de leurs amis dans les syndicats ; leur attitude nous montre que les anarchistes devenus syndicalistes eurent une véritable originalité et n’appliquèrent pas des théories qui avaient été fabriquées dans des cénacles philosophiques. Ils apprirent surtout aux ouvriers qu’il ne fallait pas rougir des actes violents. Jusque-là on avait essayé, dans le monde socialiste, d’atténuer ou d’excuser les violences des grévistes ; les nouveaux syndiqués regardèrent ces violences comme des manifestations normales de la lutte, et il en résulta que les tendances vers le trade-unionisme furent abandonnées. Ce fut leur tempérament révolutionnaire qui les conduisit à cette conception ; car on commettrait une grosse erreur en supposant que ces anciens anarchistes apportèrent dans les associations ouvrières les idées relatives à la propagande par le fait.

Le syndicalisme révolutionnaire n’est donc pas, comme beaucoup de personnes le croient, la première forme confuse du mouvement ouvrier, qui devra se débarrasser, à la longue, de cette erreur de jeunesse ; il a été, au contraire, le produit d’une amélioration opérée par des hommes qui sont venus enrayer une déviation vers des conceptions bourgeoises. On pourrait donc le comparer à la réforme qui voulut empêcher le christianisme de subir l’influence des humanistes ; comme la réforme, le syndicalisme révolutionnaire pourrait avorter, s’il venait à perdre, comme celle-ci a perdu, le sens de son originalité ; c’est ce qui donne un si grand intérêt aux recherches sur la violence prolétarienne.

15 juillet 1907.