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Renan était fort surpris de constater que les socialistes sont au-dessus du découragement : « Après chaque expérience manquée ils recommencent ; on n’a pas trouvé la solution, on la trouvera. L’idée ne leur vient jamais que la solution n’existe pas, et là est leur force »[1]. L’explication donnée par Renan est superficielle ; il regarde le socialisme comme une utopie, c’est-à-dire comme une chose comparable aux réalités observées ; et on ne comprend guère comment la confiance pourrait ainsi survivre à beaucoup d’expériences manquées. Mais, à côté des utopies, ont toujours existé des mythes capables d’entraîner les travailleurs à la révolte. Pendant longtemps, ces mythes étaient fondés sur les légendes de la Révolution et ils conservèrent toute leur valeur tant que ces légendes ne furent pas ébranlées. Aujourd’hui, la confiance des socialistes est bien plus grande qu’autrefois, depuis que le mythe de la grève générale domine tout le mouvement vraiment ouvrier. Un insuccès ne peut rien prouver contre le socialisme, depuis qu’il est devenu un travail de préparation ; si l’on échoue, c’est la preuve que l’apprentissage a été insuffisant ; il faut se remettre à l’œuvre avec plus de courage, d’insistance et de confiance qu’autrefois ; la pratique du travail a appris aux ouvriers que c’est par la voie du patient apprentissage qu’on peut devenir un vrai compagnon ; et c’est aussi la seule manière de devenir un vrai révolutionnaire[2].

  1. Renan, op. cit., p. 497.
  2. Il est extrêmement important d’observer les analogies qui existent entre l’état d’esprit révolutionnaire et celui qui correspond à la morale des producteurs ; j’ai indiqué des ressemblances remarquables à la fin de mes études, mais il y aurait encore beaucoup d’analogies à relever.