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lés de manière à pouvoir passer (moyennant quelques corrections d’ajustage) dans une législation prochaine. — Tandis que nos mythes actuels conduisent les hommes à se préparer à un combat pour détruire ce qui existe, l’utopie a toujours eu pour effet de diriger les esprits vers des réformes qui pourront être effectuées en morcelant le système ; il ne faut donc pas s’étonner si tant d’utopistes purent devenir des hommes d’État habiles lorsqu’ils eurent acquis une plus grande expérience de la vie politique. — Un mythe ne saurait être réfuté puisqu’il est, au fond, identique aux convictions d’un groupe, qu’il est l’expression de ces convictions en langage de mouvement, et que, par suite, il est indécomposable en parties qui puissent être appliquées sur un plan de descriptions historiques. L’utopie, au contraire, peut se discuter comme toute constitution sociale ; on peut comparer les mouvements automatiques qu’elle suppose à ceux qui ont été constatés au cours de l’histoire, et ainsi apprécier leur vraisemblance ; on peut la réfuter en montrant que l’économie sur laquelle on la fait reposer, est incompatible avec les nécessités de la production actuelle.

L’économie politique libérale a été un des meilleurs exemples d’utopies que l’on puisse citer. On avait imaginé une société où tout serait ramené à des types commerciaux, sous la loi de la plus complète concurrence ; on reconnaît aujourd’hui que cette société idéale serait aussi difficile à réaliser que celle de Platon ; mais de grands ministres modernes ont dû leur gloire aux efforts qu’ils ont faits pour introduire quelque chose de cette liberté commerciale dans la législation industrielle.

Nous avons là une utopie libre de tout mythe ; l’his-