Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/407

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demeurera dans les villes des autres. Mais, hâtons-nous de le dire, il y a dans le monde autre chose que la patrie[1]. » C’est précisément lorsqu’ils n’eurent plus de patrie que les Juifs arrivèrent à donner à leur religion une existence définitive ; pendant le temps de l’indépendance nationale, ils avaient été très portés à un syncrétisme odieux aux prophètes ; ils devinrent fanatiquement adorateurs de Iahvé quand ils furent soumis aux païens. Le développement du code sacerdotal, les Psaumes dont l’importance théologique devait être si grande, le Second-Isaïe[2] sont de cette époque. Ainsi la vie religieuse la plus intense peut exister dans une Église qui vit sous le régime de l’indifférence[3].

L’analogie que je propose ici, est particulièrement frappante pour le catholicisme qui existe dans les pays protestants. Sa hiérarchie, ses professeurs et ses couvents sont bien peu encombrants ; il est quelque chose d’aussi minime qu’était le judaïsme dans le monde persan. Il en est bien autrement pour le catholicisme français, dont les chefs ont été, jusqu’à ces derniers temps, mêlés à trop d’affaires pour qu’ils puissent accepter facilement la transformation de leur activité suivant le plan que j’ai

  1. Renan, loc. cit., p. 81.
  2. Renan place ce livre avant le second Temple ; je suis l’opinion d’Isidore Loëb qui me semble plus vraisemblable.
  3. Le judaïsme montre, dans sa littérature postérieure à la ruine de l’indépendance, une si singulière indifférence pour l’État que Renan s’en étonne comme d’un paradoxe : « Toutes les moineries en sont là, dit-il. L’Église catholique, si dédaigneuse pour l’État, ne saurait vivre sans l’État » {op. cit., tome III, p. 427).