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samrnent pénétré de l’idée de liberté, il pourrait suffire pour permettre au catholicisme d’accomplir cette mission ; — une entente ne serait plus nécessaire entre les chefs du pouvoir spirituel et ceux du pouvoir temporel ; au lieu de l’harmonie qui ne fut qu'un rêve de théoriciens, régnerait la plus parfaite indifférence.

On ne pourrait pas dire que l’État ignorerait complètement l’Église ; car le premier devoir du législateur est de bien connaître les conditions dans lesquelles chacune des personnes juridiques développe son activité ; il faudrait donc que les lois fussent rédigées de manière à ne pas entraver la libre expansion de l’Église.

Ce régime d’indifférence ne serait pas sans analogie avec celui que connut le judaïsme après la destruction du royaume de Juda[1]. Les Juifs voulurent restaurer Jérusalem, mais uniquement pour en faire une sorte de grand couvent consacré aux rites du Temple ; parlant de l’administration de Néhémie, Renan écrit : « C’est une Église qui se fonde ce jour-là à Jérusalem et non pas une cité. Une foule qu’on amuse avec des fêtes, des notables dont on flatte la vanité par des honneurs de processions, ne sont pas les éléments d’une patrie : l’aristocratie militaire est nécessaire. Le Juif ne sera pas un citoyen ; il

  1. Les causes juridiques ne seraient pas les mêmes, encore que les résultats pussent se ressembler ; Renan fait, en effet, remarquer que « la liberté est définitivement une création des temps modernes. Elle est la conséquence d’une idée que l’antiquité n’eut pas. l’État garantissant les données les plus opposées de l'activité humaine et restant neutre dans les choses de la conscience, du goût, du sentiment» (Histoire du peuple d'Israël. tome IV, p. 82).