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d’un siècle déjà, à proposer une idée du devoir absolu[1], qui suppose, évidemment, que l’homme puisse se dégager des liens qui le rattachent aux conditions historiques. D’autre part, beaucoup de grandes choses de l’histoire ont été faites par des masses humaines qui, pendant un temps plus ou moins long, ont été dominées par des convictions, plus ou moins analogues aux forces religieuses, assez absolues pour faire oublier beaucoup des circonstances matérielles qui sont prises habituellement en considération dans le choix des directions à adopter. Si l’on veut exprimer ce fait dans un langage approprié aux procédés qu’on nomme scientifiques, juridiques ou logiques, il faut formuler des principes qui seront censés avoir été ceux d’hommes anhistoriques, plus ou moins poussés sur la voie de l’absolu. L’homme abstrait n’est donc pas, comme pensait Joseph de Maistre, un personnage inutile pour l’historien ; il constitue un artifice de notre entendement ; — il y a beaucoup d’artifices nécessaires dans le travail par lequel nous adoptons la réalité à notre intelligence.

La différence fondamentale qui existe entre les méthodes de la philosophie sociale et celles de la physiologie, nous apparaît maintenant plus clairement. Celle-ci ne peut

  1. Cf. Brunetière, Questions actuelles, p. 33. Cette idée avait été exprimée dans la célèbre maxime de Jésus : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mathieu, V. 48) ; la vie évangélique fut confinée dans les couvents après le triomphe de l’Église (Renan, op. cit., p. 558) ; ici encore nous trouvons que la philosophie moderne s’est inspirée de la Réforme, qui prétendait unifier tout le monde chrétien sur le modèle monacal.