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construire une société qui ressemble à celles que nous connaissons. Si des théoriciens de la démocratie ont cru que cette entreprise était possible, c’est qu’ils avaient — sans toujours se rendre compte de la supercherie qu’ils employaient — fortement restreint le champ sur lequel cet homme absolu peut étendre l’action de sa libre volonté.

Une philosophie fondée sur des postulats empruntés à la vie mystique ne peut connaître que des isolés, ou des gens qui sont sortis de leur isolement par leur agrégation à un groupe où règnent exactement les mêmes convictions que les leurs. Pour trouver une application vraie et normale des principes que proclame la démocratie moderne, on sera donc conduit à aller observer ce qui se passe dans les couvents ; c’est ce que Taine a dit d'une manière excellente : « A la base de cette république [religieuse] se trouve la pierre angulaire dessinée par Rousseau…, un contrat social… ; seulement, dans le pacte monastique, la volonté des acceptants, est unanime, sincère, sérieuse, réfléchie. permanente, et, dans le pacte politique, elle ne l’est pas ; ainsi, tandis que le second contrat est une fiction théorique, le premier contrat est une vérité de fait[1]. »

On serait assez tenté de conclure de cette critique qu’il faut abandonner toute considération sur l’homme anhistorique aux professeurs de rhétorique ; mais une telle conclusion soulèverait les protestations du plus grand nombre des moralistes ; ceux-ci sont habitués, depuis plus

  1. Taine, Le régime moderne, tome II. p. 108. Cf. p. 106 et p. 109.