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nôtres[1]. En lisant, au deuxième livre de la Politique, les arguments qu’Aristote oppose aux théories platoniciennes, on se rend bien compte que l’esprit des philosophes grecs avait été généralement dominé par l’idée que l’unité la plus absolue est le plus grand bien qu’on puisse souhaiter pour une cité[2] ; on est même amené à douter qu’Aristote eût osé présenter avec autant d’assurance ses conceptions anti-unitaires si, de son temps, les cités n’eussent été atteintes d’une irrémédiable décadence, en sorte que la restauration de l’ancienne discipline dût paraître étrangement utopique à ses lecteurs.

Il a bien existé, à toutes les époques probablement, des éléments anarchiques dans le monde : mais ces éléments étaient confinés sur les limites de la société, qui ne les protégeait pas ; le peuple ne parvenait à comprendre leur existence qu’en supposant l’existence de protecteurs mystérieux qui défendaient ces isolés contre les dangers qui les menaçaient ; de telles anomalies ne pouvaient avoir d’influence sur l’esprit des hommes qui cherchèrent à fonder en Grèce la science de la politique sur l’observation des choses qui arrivent le plus ordinairement.

Les mendiants, certains artistes ambulants et notamment les chanteurs, les bandits ont fourni les types les plus notables de l’isolement ; leurs aventures ont pu

  1. Dom Leclerq dit que le régime de l’Église espagnole, au temps des Wisigoths, nous montre un cas dans lequel l’idée unitaire de la Cité antique a survécu dans le christianisme (L’Espagne chrétienne, pp. xxii-xxxiii.
  2. Aristote, Politique, livre II. chap. i, 7.