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disant que, suivant le témoignage du bon sens, la notion de société est toute pénétrée de l’idée d’unité.

Que, dans beaucoup de circonstances, dans celles notamment qui sont les plus propres à agir sur les constructions de l’esprit qu’on rapporte au bon sens, l’unité de la société doive être prise en très sérieuse considération, c’est ce qu’aucune personne raisonnable ne songera à contester. On peut dire, en effet, que l’unité sociale nous presse de tous côtés, en quelque sorte, dans le cours ordinaire de l’existence, parce que nous sentons s’exercer, presque tout le temps, les effets d’une autorité hiérarchisée, qui impose des règles uniformes aux citoyens d’un même pays. Il ne faut pas oublier, d’autre part, que si le bon sens est parfaitement adapté aux conditions des relations communes, il laisse, à peu près normalement, de côté les événements les plus graves de la vie, ceux dans lesquels s’accuse la valeur des volontés profondes ; on ne doit donc pas regarder comme certain que l’idée d’unité doive s’imposer à toute philosophie sociale.

Certaines habitudes de langage fort répandues aujourd’hui ont plus contribué que tous les raisonnements à populariser les préjugés unitaires. On a trouvé commode d’employer, très fréquemment, des formules dans lesquelles les organisations humaines sont assimilées à des organismes d’ordre supérieur ; les sociologues ont retiré d’énormes avantages de ces manières de parler, qui leur permettaient de faire croire qu’ils possédaient une science très sérieuse, basée sur la biologie ; comme les naturalistes ont fait, durant le xixe siècle, beaucoup de découvertes retentissantes, la sociologie a profité du prestige que possédait ainsi l’histoire naturelle. De telles