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les travailleurs ? Le ressort de l’immortalité, que Renan regardait comme si puissant, est évidemment sans efficacité ici, car on n’a jamais vu des artistes produire des chefs-d’œuvre sous l’influence de l’idée que ce travail leur procurerait une place dans le paradis, comme les Turcs se font tuer pour jouir du bonheur promis par Mahomet. Les ouvriers n’ont même pas complètement tort lorsqu’ils regardent la religion comme un luxe bourgeois, parce qu’en effet la religion n’a pas de ressources pour faire perfectionner les machines et pour donner des moyens de travailler plus rapidement.

Il faut se poser la question autrement que ne fait Renan ; il faut savoir s’il y a, dans le monde des producteurs, des forces d’enthousiasme capables de se combiner avec la morale du bon travail, en sorte que, dans nos jours de crise, celle-ci puisse acquérir toute l’autorité qui lui est nécessaire pour conduire la société dans la voie du progrès économique.

Nous devons prendre garde que le sentiment très vif que nous avons de la nécessité d’une telle morale et le désir ardent que nous avons de la voir se réaliser, ne nous induisent à accepter des fantômes comme des puissances capables de remuer le monde. L’abondante littérature idyllique des professeurs de rhétorique est évidemment une pure vanité. Sont vains également les efforts tentés par tant de savants pour trouver dans le passé des institutions à imiter, qui seraient capables de discipliner leurs contemporains : l’imitation n’a jamais donné grand’chose de bon et a souvent engendré beaucoup de déboires ; combien n’est-elle pas absurde, l’idée d’emprunter à des structures sociales abolies des moyens propres à