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rience historique, proclamée par Renan, nous apprend que cela est très possible et que de là peut sortir le salut du monde. C’est vraiment sous terre que se produit le mouvement syndicaliste ; les hommes qui s’y dévouent ne mènent pas grand tapage dans la société ; quelle différence entre eux et les anciens chefs de la démocratie travaillant à la conquête du pouvoir !

Ceux-ci étaient enivrés par l’espoir que les hasards de l’histoire devaient les amener, quelque jour, à devenir des princes républicains[1]. En attendant que la roue de la fortune tournât ainsi à leur avantage, ils obtenaient les profits moraux et matériels que procure la célébrité à tous les virtuoses, dans une société qui est habituée à payer cher ce qui l’amuse. Beaucoup d’entre eux avaient pour principal moteur leur incommensurable orgueil, et ils s’imaginaient que, leur nom devant briller d’un singulier éclat dans les annales de l’humanité, ils pouvaient acheter cette gloire future par quelques sacrifices.

Aucune de ces raisons d’agir n’existe pour les syndicalistes actuels : le prolétariat n’a pas les instincts serviles de la démocratie ; il n’aspire point à marcher à quatre pattes devant un ancien camarade devenu haut magistrat et à se pâmer d’aise devant les toilettes des dames des ministres[2]. Les hommes qui se dévouent à la cause

  1. Toute la démocratie est dans le mot prêté à Mme Flocon : « C'est nous qui sommes les princesses. » La démocratie est heureuse quand elle voit traiter avec des honneurs princiers un Félix Faure, home médiocre en tout (pour ne pas être sévère).
  2. Le socialisme parlementaire est une force carabinée