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II


Au début de toute recherche sur la morale moderne, il faut se poser cette question : sous quelles conditions un renouvellement est-il possible ? Les marxistes ont eu mille fois raison de se moquer des utopistes et de soutenir qu’on ne crée point une morale avec des prédications tendres, des fabrications ingénieuses d’idéologies, ou de beaux gestes. Proudhon, faute d’avoir examiné ce problème, s’est fait de grandes illusions sur la persistance des forces qui donnaient de la vie à sa morale ; l’expérience devait démontrer bientôt que son entreprise était destinée à demeurer vaine. Et si le monde contemporain ne renferme pas des racines pour une nouvelle morale, que deviendra-t-il ? Les gémissements d’une bourgeoisie pleurnicharde ne le sauveront pas, s’il a vraiment perdu ses mœurs pour toujours.


Peu de temps avant sa mort, Renan était fort préoccupé de l’avenir moral du monde : « les valeurs morales baissent, cela est sûr ; le sacrifice disparaît presque ; on voit venir le jour où tout sera syndiqué[1], où l’égoïsme organisé remplacera l’amour et le dévouement… il y aura d’étranges tiraillements. Les deux choses qui,

  1. On voit que Renan n’avait point pour l’esprit corporatif la vénération que montrent beaucoup de nos actuels idéalistes.