Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/328

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’on mît plus de formes que n’en mettait jadis Chagot à Montceau-Les-Mines[1].


Les socialistes ont longtemps eu de grands préjugés contre la morale, en raison de ces institutions catholiques que de grands industriels établissaient chez eux ; il leur semblait que la morale n’était, dans notre société capitaliste, qu’un moyen d’assurer la docilité des travailleurs maintenus dans l’effroi que crée la superstition. La littérature dont raffole la bourgeoisie depuis longtemps décrit des mœurs si déraisonnables, ou même si scandaleuses, qu’il est difficile de croire que les classes riches puissent être sincères quand elles parlent de moraliser le peuple.

Les marxistes avaient une raison particulière de se montrer défiants pour tout ce qui touchait à l’éthique ; les propagateurs de réformes sociales, les utopistes et les démocrates avaient fait un tel abus de la justice qu’on était en droit de regarder toute dissertation sur un tel sujet comme un exercice de rhétorique ou comme une sophistique destinée à égarer les personnes qui s’occupaient du mouvement ouvrier. C’est ainsi que Rosa Luxemburg appelait, il y a quelques années, l’idée de Justice « ce vieux cheval de retour monté depuis des siècles par tous les rénovateurs du monde, privés de plus sûrs moyens de locomotion historique, cette Rossinante

  1. J’ai déjà dit qu’en 1883 Y. Guyot dénonçait avec violence la conduite de Chagot, qui plaçail les ouvriers sous la direction des prêtres et les forçait à aller à la messe. (La morale, p. 183.)