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ce qu’il y a de si admirable dans cette tactique digne d’Escobar. Les catholiques ont souvent employé jadis des procédés d’intimidation analogues contre les libéraux ; aussi, je comprends fort bien pourquoi tant de braves gens admirent les trade-unions, mais je trouve la morale des braves gens fort peu admirable.

Il est vrai qu’en Angleterre la violence est dépourvue, depuis longtemps, de tout caractère révolutionnaire. Que des avantages corporatifs soient poursuivis à coups de poing ou par la ruse, il n’y a pas une très grande différence à établir entre les deux méthodes ; cependant, la tactique pacifique des trade-unions dénote une hypocrisie qu’il vaudrait mieux laisser aux braves gens. Dans les pays où existe la notion de la grève générale, les coups échangés durant les grèves entre ouvriers et représentants de la bourgeoisie ont une tout autre portée ; leurs conséquences sont lointaines et elles peuvent engendrer du sublime.


Je crois que c’est à ces considérations relatives au sublime qu’il faut avoir recours pour comprendre, au moins en partie, les répugnances que provoqua la doctrine de Bernstein dans la socialdémocratie allemande. L’Allemand a été nourri du sublime à un degré extraordinaire : d’abord par la littérature qui se rattache aux guerres de l’Indépendance[1], puis par le rajeunissement du goût

  1. Renan a même écrit : « La guerre de 1813 à 1815 est la seule de notre siècle qui ait eu quelque chose d'épique et d'élevé ; elle correspondait à un mouvement d'idées et eut une vraie signification intellectuelle. Un homme qui prit part à cette lutte grandiose me racontait que, réveillé par