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« Veri juris. Nous n’en avons plus » (fragment 297).

L’observation va d’ailleurs montrer à Pascal l’absurdité de la théorie du droit naturel ; si cette théorie était exacte, on trouverait quelques lois universellement admises ; mais des actions que nous regardons comme des crimes ont été regardées autrefois comme vertueuses : « Trois degrés d’élévation du pôle renversent toute la jurisprudence, un méridien décide de la vérité ; en peu d’années de possession, les lois fondamentales changent ; le droit a ses époques, l’entrée de Saturne au Lion nous marque l’origine d’un tel crime. Plaisante justice qu’une rivière borne ! Vérité au deçà des Pyrénées, erreur au delà... Il faut, dit-on, recourir aux lois fondamentales et primitives de l’État qu’une coutume injuste a abolies. C’est un jeu sûr pour tout perdre : rien ne sera juste à cette balance. » (fragment 294 ; cf. Fragment 375)

Dans cette impossibilité où nous sommes de pouvoir raisonner sur le juste, nous devons nous en rapporter à la coutume et Pascal revient souvent sur cette règle (fragment 294, 297, 299, 309, 312). Il va plus loin encore et il montre comment le juste est pratiquement dépendant de la force : « La justice est sujette à dispute, la force est très reconnaissable et sans dispute. Ainsi on n’a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice et a dit que c’était elle qui était juste. Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait ce qui est fort fût juste » (fragment 298 ; cf. Fragments 302, 303, 306, 307, 311).

Cette critique du droit naturel n’a point la parfaite clarté que nous pourrions lui donner aujourd’hui, parce que nous savons que c’est dans l’économie qu’il faut aller