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par lesquels les auteurs croient pouvoir déterminer l’homme à agir moralement, seraient plutôt capables de l’entraîner sur la pente du probabilisme ; dès que nous raisonnons sur un acte à accomplir, nous sommes amenés à nous demander s’il n’y aurait pas quelque moyen propre à nous permettre d’échapper aux obligations strictes du devoir. A. Comte supposait que la nature humaine changerait dans l’avenir et que les organes cérébraux qui engendrent l’altruisme (?), l’emporteraient sur ceux qui produisent l’égoïsme ; c’est que probablement il se rendait compte de ce fait que la décision morale est instantanée et sort des profondeurs de l’homme comme un instinct.

Proudhon en est réduit, comme Kant, à faire parfois appel à une scolastique pour expliquer le paradoxe de la loi morale : « Sentir son être dans les autres, au point de sacrifier à ce sentiment tout autre intérêt, d’exiger pour autrui le même respect que pour soi-même et de s’irriter contre l’indigne qui souffre qu’on lui manque, comme si le soin de sa dignité ne le regardait pas seul, une telle faculté semble, au premier abord, étrange… Tout homme tend à déterminer et a faire prévaloir son essence, qui est sa dignité même. Il en résulte que l'essence étant identique et une pour tous les hommes, chacun de nous se sent tout à la fois comme personne et comme espèce; que l'injure commise est ressentie par les tiers et par l'offenseur lui-même comme par l'offensé, qu'en conséquence, la protestation est commune, ce qui est précisément la Justice[1] . »

  1. Proudhon. loc. cit., pp. 216 217.