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parlementaire quand ils leur confient des causes ; c’est ainsi qu’un ancien ministre de la justice est toujours sûr d’avoir des procès rémunérateurs, alors même qu’il a peu de talent, parce qu’il a des moyens d’agir sur les magistrats dont il connaît très bien les défauts et qu’il peut perdre. Les grands avocats politiciens sont recherchés par les financiers qui ont de graves difficultés à vaincre devant les tribunaux, qui sont habitués à pratiquer de larges pots-de-vin et qui, en conséquence, payent très royalement[1]. Le monde des patrons apparaît donc à nos gouvernants comme un monde d’aventuriers, de joueurs et d’écumeurs de bourse ; ils estiment que cette classe riche et criminelle doit s’attendre

  1. J’emprunte à un roman célèbre de Léon Daudet quelques traits de l’avocat Méderbe : « Celui-ci était un personnage bizarre, grand, mince, au corps assez élégant, surmonté d’une tête de poisson mort, avec des yeux verts impénétrables, des cheveux collés et plats et, dans tout son individu, quelque chose de glacé, de rigide… Il avait choisi la profession d’avocat, comme propre à satisfaire ses besoins d’argent et ceux de sa femme… il plaidait surtout les affaires financières, pour leurs gros profits et les secrets qu’elles lui livraient, et on les lui confiait en prévision de ses relations demi-politiques, demi-judiciaires, qui lui assuraient toujours gain de cause. Il réclamait des honoraires fabuleux. Ce qu’on lui payait, c’était l’acquittement sûr. Cet homme disposait donc d’un énorme pouvoir… Il donnait l’impression d’un bandit armé pour la vie sociale, sûr de l’impunité. » (Les morticoles, pp. 287-288.) Il est évident que beaucoup de ces traits sont empruntés à celui que les socialistes ont si souvent appelé l’avocat d’Eiffel, avant d’en faire le demi-dieu de la Défense républicaine.