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Transformer les syndicats en associations politico-criminelles servant d’auxiliaires au gouvernement démocratique, tel fut le plan de Waldeck-Rousseau depuis 1884 ; les syndicats devaient jouer un rôle analogue à celui que nous avons vu jouer aux Loges : celles-ci servant à faire l’espionnage des fonctionnaires, ceux-là étant destinés à menacer les intérêts des patrons peu favorables à l’administration ; les francs-maçons étant récompensés par des décorations et des faveurs accordées à leurs amis ; les ouvriers étant autorisés à arracher à leurs patrons des suppléments de salaire. Cette politique était simple et ne coûtait pas cher.

Pour que ce système puisse fonctionner convenablement, il faut qu’il y ait une certaine modération dans la conduite des ouvriers ; non seulement la violence doit rester discrète, mais encore les demandes ne doivent pas dépasser certaines limites. Il faut appliquer ici les mêmes principes que pour les pots-de-vin touchés par les politiciens : ceux-ci sont approuvés par tout le monde quand ils savent limiter leurs exigences. Les gens qui sont dans les affaires savent qu’il y a tout un art du pot-de-vin ; certains courtiers ont acquis une habileté toute particulière pour l’appréciation des remises à offrir aux hauts fonctionnaires ou aux députés qui peuvent faire aboutir une convention[1]. Si les financiers sont, presque toujours, obligés d’avoir recours aux bons offices de spécialistes, à plus forte raison des ouvriers, nullement habitués aux usages du monde, doi-

  1. Je suppose que personne n’ignore qu’aucune affaire importante ne se traite sans pot-de-vin.