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l’indignation ; l’attitude de Joseph Reinach lui parut particulièrement scandaleuse ; il lui semblait que celui-ci aurait dû se trouver trop honoré d’être toléré dans la Ligue des Droits de l’homme qui se décidait à mener enfin « le bon combat pour la défense des droits du citoyen, trop longtemps sacrifiée à celle d’un homme » (Action, 22 décembre 1904). Finalement, on vota une loi d’amnistie pour déclarer qu’on ne voulait plus entendre parler toutes ces vétilles.

Il y eut en province quelques résistances[1] ; mais furent-elles bien sérieuses ? Je me permets d’en douter quand je consulte le dossier publié par Péguy dans le neuvième numéro de la sixième série de ses Cahiers de la quinzaine. Quelques personnages au verbe abondant, sonore et plein de galimatias, se trouvèrent un peu gênés sans doute devant les sourires moqueurs des notables épiciers et des éminents pharmaciens, qui constituent l’élite des sociétés savantes et musicales devant lesquelles ils étaient habitués à pérorer sur la justice, la vérité et la lumière. Ils éprouvèrent le besoin de se donner des allures stoïques.

Est-il rien de plus beau que ce passage d’une lettre du professeur Bouglé, grand docteur ès sciences sociales, que je trouve à la page 13 : « J’ai été bien heureux d’apprendre que la ligue allait enfin dire son mot. Son silence étonne et effraie ? Voilà un garçon qui doit avoir l’effroi et l’étonnement bien faciles. Francis De Pressensé eut aussi ses angoisses ; il est spécialiste en ce genre ;

  1. La province n’est pas, en effet, aussi habituée que Paris à l’indulgence pour les ruses et les brigandages pacifiques.