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importante qui s’est produite dans le monde criminel que de principes éthiques. C’est ce que je vais essayer de montrer.


B. — Les savants de la bourgeoisie n’aiment pas à s’occuper des classes dangereuses[1] ; c’est une des raisons pour lesquelles toutes leurs dissertations sur l’histoire des mœurs demeurent toujours superficielles ; il n’est pas très difficile de reconnaître que c’est la connaissance de ces classes qui permet seule de pénétrer dans les mystères de la pensée morale des peuples.

Les anciennes classes dangereuses pratiquaient le délit le plus simple, celui qui était le mieux à leur disposition, celui qui est aujourd’hui relégué dans les groupes de jeunes voyous sans expérience et sans jugement. Les délits de brutalité nous semblent être aujourd’hui quelque chose d’anormal à tel point que si la brutalité a été énorme, nous nous demandons souvent si le coupable jouit bien de son bon sens. Cette transformation ne tient évidemment pas à ce que les criminels se sont moralisés, mais à ce qu’ils ont changé leur manière de procéder, en raison des conditions nouvelles de l’économie, comme nous le verrons plus loin. Ce changement a eu la plus grande influence sur la pensée populaire.

Nous savons tous que les associations de malfaiteurs parviennent à maintenir dans leur sein une excellente discipline, grâce à la brutalité ; quand nous voyons mal-

  1. Le 30 mars 1906, Monis disait an Sénat : «On ne peut pas écrire dans un texte législatif que la prostitution existe en France pour les deux sexes. »