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est le condensateur des économies ; dans un atelier où l’on a l’habitude du quand est-ce, il faut y passer ou gare à vous. » Denis Poulot, auquel j’emprunte ces détails, observe que les machines ont supprimé le prestige des grosses culottes, qui n’étaient plus guère qu’un souvenir au moment où il écrivait en 1870[1].

Les mœurs des compagnonnages furent longtemps fort remarquables par leur brutalité ; avant 1840, il y avait constamment des bagarres, souvent sanglantes, entre groupes de rites différents ; Martin Saint-Léon a donné, dans son livre sur le compagnonnage, des extraits de chansons vraiment barbares[2] ; les réceptions étaient pleines d’épreuves très dures ; les jeunes gens étaient traités comme de vrais parias dans les Devoirs de Jacques et de Soubise : « On a vu, raconte Perdiguier, des compagnons (charpentiers) se nommer le Fléau des renards (des aspirants), la Terreur des renards… En province, un renard travaille rarement dans les villes ; on le chasse, comme on dit, dans les broussailles[3] ». Beaucoup de scissions survinrent lorsque la tyrannie des compagnons se trouva en opposition avec les habitudes plus libérales qui dominaient la société. Quand les ouvriers n’eurent plus autant besoin d’un protecteur, surtout pour trouver du travail, ils ne consenti-

  1. Denis Poulot. Le sublime pp. 150-153. Je cite d'après l'édition de 1887. Cet auteur dit que les grosses culottes ont beaucoup gêné le progrès dans les forges.
  2. Martin Saint-Léon, Le compagnonnage, pp. 115, 125, 270-273, 277.
  3. Martin Saint-Léon, op. cit., p 97. Cf. pp. 91-92. p. 107.