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sépulture de famille où fut enterrée, du ier au ive siècle[1], la lignée chrétienne des Acilii. » Il semble qu’il faille abandonner aussi l’opinion ancienne relative au grand nombre de martyrs.

Renan admettait encore que la littérature des martyrs devait être prise au sérieux : " « Les détails des Actes des martyrs, disait-il, peuvent être faux pour la plus grande partie ; l’effroyable tableau qu’ils déroulent devant nous n’en fut pas moins une réalité. On s’est souvent fait de trompeuses images de cette lutte terrible… ; on n’en a pas exagéré la gravité[2]. » Les recherches de Harnack conduisent à une tout autre conclusion ; il n’y aurait aucune mesure entre le langage des auteurs chrétiens et l’importance matérielle des persécutions ; il y aurait eu très peu de martyrs avant le milieu du iiie siècle. Tertullien est l’écrivain qui a le plus fortement marqué l’horreur que la nouvelle religion éprouvait pour ses persécuteurs, et cependant voici ce que Harnack dit : « Un regard jeté à l’aide des ouvrages de Tertullien sur Carthage et l’Afrique du nord, montre qu’avant l’an 180 il n’y eut dans ces régions aucun martyr et que depuis lors, jusqu’à la mort de Tertullien (après 220), elles n’en comptèrent, même en y joignant la Numidie et les Mauritanies, guère plus de deux douzaines[3]. » Il faut songer qu’à cette époque il y avait en Afrique un assez grand nombre de montanistes qui exaltaient beaucoup la gloire du martyre et n’admettaient point que l’on eût le droit de fuir la persécution.

  1. P. Allard, Dix leçons sur le martyre, p. 171.
  2. Renan, Église chrétienne, p. 317.
  3. P. Allard, op. cit., p. 137.