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IV


L’étude de la grève politique nous conduit à mieux comprendre une distinction qu’il faut avoir toujours présente à l’esprit quand on réfléchit sur les questions sociales contemporaines. Tantôt on emploie les termes force et violence en parlant des actes de l’autorité, tantôt en parlant des actes de révolte. Il est clair que les deux cas donnent lieu à des conséquences fort différentes. Je suis d’avis qu’il y aurait grand avantage à adopter une terminologie qui ne donnerait lieu à aucune ambiguïté et qu’il faudrait réserver le terme violence pour la deuxième acception ; nous dirions donc que la force a pour objet d’imposer l’organisation d’un certain ordre social dans lequel une minorité gouverne, tandis que la violence tend à la destruction de cet ordre. La bourgeoisie a employé la force depuis le début des temps modernes, tandis que le prolétariat réagit maintenant contre elle et contre l’État par la violence.

Depuis longtemps, j’étais convaincu qu’il importerait beaucoup d’approfondir la théorie des puissances sociales que l’on peut comparer, dans une assez large mesure, aux forces de la dynamique agissant sur de la matière ; mais je n’avais pu apercevoir la distinction capitale, dont il est question ici, avant d’avoir réfléchi sur la grève générale. Il ne me semble pas d’ailleurs que Marx ait jamais examiné d’autres contraintes sociales que la force. Dans les Saggi di critica del marxismo, j’avais cherché, il y a quelques années, à résumer les thèses marxistes sur l’adaptation de l’homme aux conditions du capita-