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La grève générale politique offre cet immense avantage qu’elle ne met pas en grand péril les vies précieuses des politiciens ; elle constitue une amélioration de l’insurrection morale dont usa la Montagne, au mois de mai 1793, pour forcer la Convention à expulser de son sein les Girondins ; Jaurès, qui a peur d’effrayer sa clientèle de financiers (comme les Montagnards avaient peur d’effrayer les départements), admire fort un mouvement qui ne serait pas compromis par des violences qui auraient affligé l’humanité[1] ; aussi n’est-il pas un ennemi irréconciliable de la grève générale politique.


Des événements récents ont donné une force très grande à l’idée de la grève générale politique. Les Belges obtinrent la réforme de la constitution par une démonstration que l’on a décorée, peut-être un peu ambitieusement, du nom de grève générale. Il paraît que les choses n’avaient pas eu l’allure tragique qu’on leur a quelquefois prêtée : le ministère était bien aise de forcer la Chambre à adopter un projet de loi électorale que la majorité réprouvait ; beaucoup de patrons libéraux étaient fort opposés à cette majorité ultra-cléricale ; ce qui se produisit alors fut ainsi tout le contraire d’une grève générale prolétarienne, puisque les ouvriers servirent les fins de l’État et de capitalistes. Depuis ces temps déjà lointains, on a tenté une autre poussée sur le pouvoir central, en vue de l’établissement d’un mode de suffrage plus démocratique ; cette tentative échoua d’une manière

  1. Jaurès, Convention, p. 1384.