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Certaines grandes lois peuvent encore donner lieu à de belles joutes oratoires, depuis que l’on ne disserte plus guère sur les constitutions ; ainsi pour la séparation de l’Église et l’État, les professionnels des principes ont pu se faire écouter et même se faire applaudir ; on a été d’avis que rarement le niveau des débats avait été aussi élevé ; on était encore sur un terrain qui se prête à une scolastique. Mais, plus souvent, on s’occupe de lois d’affaires ou de mesures sociales ; alors s’étale dans toute sa splendeur l’ânerie de nos représentants : ministres, présidents ou rapporteurs de commissions, spécialistes, rivalisent à qui sera le plus stupide ; — c’est que nous sommes ici en contact avec l’économie, et l’esprit n’est plus dirigé par des moyens simples de contrôle ; pour donner des avis sérieux sur ces questions, il faudrait les avoir connues pratiquement, et ce n’est point le cas de nos honorables. Il y a là beaucoup de représentants de la petite science ; le 5 juillet 1905, un notable guérisseur de véroles[1] déclarait qu’il ne s’occupait point d’économie politique, ayant « une certaine défiance pour cette science conjecturale ». Il faut sans doute entendre par là qu’il est plus difficile de raisonner sur la production que de diagnostiquer des chancres syphilitiques.

La petite science a engendré un nombre fabuleux de

  1. Le docteur Augagneur fut longtemps une des gloires de cette catégorie d’Intellectuels qui regardaient le socialisme comme une variété du dreyfusisme ; ses grandes protestations en faveur de la justice l’ont conduit à devenir gouverneur de Madagascar, ce qui prouve que la vertu est quelquefois récompensée.