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Il faut présenter, d’une manière saisissante, les liens qui rattachent la révolution au progrès constant et rapide de l’industrie[1].

3° On ne saurait trop insister sur ce fait que le marxisme condamne toute hypothèse construite par les utopistes sur l’avenir. Le professeur Brentano, de Munich, a raconté qu’en 1869 Marx écrivait à son ami Beesly (qui avait publié un article sur l’avenir de la classe ouvrière) qu’il l’avait tenu jusque là pour le seul anglais révolutionnaire et qu’il le tenait désormais pour un réactionnaire, — car, disait-il, « qui compose un programme pour l’avenir est un réactionnaire[2] ». Il estimait que le prolétariat n’avait point à suivre les leçons de doctes inventeurs de solutions sociales, mais à prendre, tout simplement, la suite du capitalisme. Pas besoin de programmes d’avenir ; les programmes sont réalisés déjà dans l’atelier. L’idée de la continuité technologique domine toute la pensée marxiste.

La pratique des grèves nous conduit à une concep-

  1. Kautsky est souvent revenu sur cette idée qui était particulièrement chère à Engels.
  2. Bernstein dit, à ce propos, que Brentano a pu exagérer un peu, mais que « le mot cité par lui ne s’éloigne pas beaucoup de la pensée de Marx ». (Mouvement socialiste, 1er septembre 1899, p. 270.) — Avec quoi peuvent se faire les utopies ? avec du passé et souvent avec du passé fort reculé ; c’est probablement pour cela que Marx traitait Beesly de réactionnaire, alors que tout le monde s’étonnait de sa hardiesse révolutionnaire. Les catholiques ne sont pas les seuls à être hypnotisés par le Moyen Age, et Yves Guyot s’amuse du « troubadourisme collectiviste » de Lafargue. (Lafargue et Y. Guyot, La propriété, pp. 121-122.)