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ardent sentiment de révolte qui ne cesse de dominer l’âme ouvrière ; mais l’expérience montre que, très souvent, les révoltes d’un jour sont bien loin d’avoir le ton qui est véritablement spécifique du socialisme ; les colères les plus violentes ont dépendu, plus d’une fois, de passions qui pouvaient trouver satisfaction dans le monde bourgeois ; on voit beaucoup de révolutionnaires abandonner leur ancienne intransigeance lorsqu’ils rencontrent une voie favorable[1]. — ce ne sont pas seulement les satisfactions d’ordre matériel qui produisent ces fréquentes et scandaleuses conversions ; l’amour-propre est, encore plus que l’argent, le grand moteur du passage de la révolte à la bourgeoisie. — cela serait peu de chose s’il ne s’agissait que de personnages exceptionnels ; mais on a souvent soutenu que la psychologie des masses ouvrières est si facilement adaptable à l’ordre capitaliste que la paix sociale serait rapidement obtenue pour peu que les patrons voulussent bien y mettre un peu du leur.

G. Le Bon prétend qu’on se trompe beaucoup lorsqu’on croit aux instincts révolutionnaires des foules, que leurs tendances sont conservatrices, que toute la puissance du socialisme provient de l’état mental, passablement détraqué, de la bourgeoisie ; il est persuadé que

  1. On se rappelle que l'éruption de la Martinique a fait périr un gouverneur qui avait été un des protagonistes du congrès socialiste de Marseille. La Commune, elle-même, n'a pas été funeste à tous ses partisans; plusieurs ont eu d'assez belles carrières ; l'ambassadeur de la France, à Rome, s'était distingué, en 1871, parmi ceux qui avaient demandé la mort des otages.