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que les vrais développements de la Révolution ne ressemblent nullement aux tableaux enchanteurs qui avaient enthousiasmé ses premiers adeptes ; mais sans ces tableaux la Révolution aurait-elle pu vaincre ? Le mythe était fort mêlé d’utopies[1], parce qu’il avait été formé par une société passionnée pour la littérature d’imagination, pleine de confiance dans la petite science et fort peu au courant de l’histoire économique du passé. Ces utopies ont été vaines ; mais on peut se demander si la Révolution n’a pas été une transformation beaucoup plus profonde que celles qu’avaient rêvées les gens qui, au xviiie siècle, fabriquaient des utopies sociales. Tout près de nous, Mazzini a poursuivi ce que les hommes sages de son temps nommèrent une folle chimère ; mais on ne peut plus douter aujourd’hui que sans Mazzini l’Italie ne serait jamais devenue une grande puissance et que celui-ci a beaucoup plus fait pour l’unité italienne que Cavour et tous les politiques de son école.

Il importe donc fort peu de savoir ce que les mythes renferment de détails destinés à apparaître réellement sur le plan de l’histoire future ; ce ne sont pas des almanachs astrologiques ; il peut même arriver que rien de ce qu’ils renferment ne se produise, — comme ce fut le cas pour la catastrophe attendue par les premiers chrétiens[2]. Dans la vie courante ne sommes-nous pas habitués à

  1. Cf. la lettre à Daniel Halévy, iv
  2. J’ai essayé de montrer comment à ce mythe social qui s’est évanoui, a succédé une dévotion qui a conservé une importance capitale dans la vie catholique : cette évolution du social à l’individuel me semble toute naturelle dans une religion. (Le système historique de Renan, pp. 374-382.)