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moyenne ; c’est donc sur ce terrain que les syndicalistes ont été forcés de se placer lorsque les bourgeois de tout acabit ont employé tous leurs moyens de séduction pour corrompre le socialisme et éloigner les ouvriers de l’idée révolutionnaire. Ils ont été amenés à nier l’idée de patrie par une de ces nécessités comme on en rencontre, à tout instant, au cours de l’histoire[1] et que les philosophes ont parfois beaucoup de peine à expliquer, — parce que le choix est imposé par les conditions extérieures et non librement fait pour des raisons tirées de la nature des choses. Ce caractère de nécessité historique donne au mouvement antipatriotique actuel une force qu’on chercherait vainement à dissimuler au moyen de sophismes[2].

Nous avons le droit de conclure de là que l’on ne saurait confondre les violences syndicalistes exercées au cours des grèves par des prolétaires qui veulent le renversement de l’État avec ces actes de sauvagerie que la

  1. Cf. l’enquête du Mouvement socialiste : L’idée de patrie et la classe ouvrière. Après le procès de Hervé. Léon Daudet écrivait : « Ceux qui ont suivi ces débats ont frémi aux dépositions nullement théâtrales des secrétaires des syndicats. » (Libre Parole, 31 décembre 1905.)
  2. Jaurès a eu cependant l’audace de déclarer à la Chambre, le 11 mai 1907, qu’il y avait seulement « à la surface du mouvement ouvrier quelques formules d’outrance et de paradoxe, qui procèdent non de la négation de la patrie, mais de la condamnation de l’abus qu’on a fait si souvent de l’idée et du mot ». Un tel langage n’a pu être tenu que devant une assemblée qui ignore tout du mouvement ouvrier.